On peut imaginer toutes sortes d’explications au titre que David Venitucci a donné à son disque, En équilibre. S’agit-il de la progression d’un funambule sur la corde de ses émotions ? Faut-il deviner chez lui un désir de coexistence, si fragile fût-elle, entre des musiques qui s’uniraient sous ses doigts pour n’en faire qu’une qui serait universelle ? Ou bien l’accordéoniste, conscient des risques de l’aventure en solitaire, qu’il tente pour la deuxième fois sur disque [1], veut-il signifier qu’il ose exposer, au-delà de sa virtuosité, aussi bien son intimité qu’une perception du monde qu’il voudrait partager ?
Ce disque à la fois discret et élégant est sans doute un peu tout cela. En neuf temps (sept compositions originales et deux reprises, dont « La Bohème » de Charles Aznavour), celui qu’on a pu écouter aux côtés de Renaud Garcia-Fons, Denis Leloup, Christophe Marguet ou Toufik Farroukh – une liste loin d’être exhaustive – ou bien à la tête de son propre trio, dessine ici en un temps assez court, à peine plus d’une demi-heure, des paysages tour à tour contemplatifs (« Au-delà des nuages », « Edelweiss »), tendres (« La Bohème »), nostalgiques (« Ivresse nocturne », « Alfonsina y el Mar »), joyeusement dansants (« Upa Upa », « Hop ! »), empreints d’un mystère vite dissipé sous les effets d’une mélodie consolatrice (« Abyssal ») ou tout simplement amoureux (« À toi »).
L’accordéon se fait chanteur et parle au cœur… Très vite, on ferme les yeux, avançant en douceur au gré d’une déambulation habitée par un sentiment constant de sérénité. En équilibre est un havre de paix, quelque part entre jazz, musique impressionniste et folklore imaginaire, un peu ailleurs, du côté de l’âme, et c’est là sans doute un privilège en nos temps incertains. Celui d’un rêve éveillé qu’on pourrait encore toucher du doigt.
Denis Desassis, le 15 mai 2022